Entretien avec Stephen Carrière : Dr. Seuss

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grinch-couv-rvbParus en octobre 2016 : Le Chat Chapeauté ; Un poisson, deux poissons, un poisson rouge, un poisson bleu ; Comment le Grinch a volé Noël, Éditions le Nouvel Attila.
Actualités : Le Nouvel Attila sera présent au Salon de Montreuil. Une lecture de Comment le Grinch a volé Noël est organisée le 11 décembre à 15h à la Maison de la Poésie.

[/spb_text_block] [spb_text_block title= »Traduire Seuss est jubilatoire » pb_margin_bottom= »no » pb_border_bottom= »no » width= »2/3″ el_position= »last »]

On ne présente plus le Dr. Seuss aux amoureux de littérature jeunesse anglophones. The Cat in the Hat, devenu un classique, berce les soirées de nombreux enfants qui apprennent à lire en anglais. Le Lorax, Horton l’éléphant, le Grinch tout grincheux… Il y a sûrement un personnage de l’auteur qui vous poussera à vous exclamer “Ah, mais oui ! Bien sûr !”.
Les Éditions le Nouvel Attila se sont lancées dans la publication en français de l’oeuvre de Seuss et c’est à Stephen Carrière, éditeur et traducteur, qu’est revenu l’honneur de traduire les textes de Seuss.

Comment est né ce désir de traduire les ouvrages du Dr Seuss, dont l’oeuvre est considérable et incontournable en Amérique ?
C’est Benoît Virot, du Nouvel Attila, qui en a eu l’idée. Récupérer les droits a été long et compliqué, mais la maison d’édition tenait à vraiment lancer Seuss en France, où il n’est pas si connu que cela. Il n’y avait d’ailleurs jamais eu de tentative de traduction globale de son oeuvre. J’ai donc fait un essai pour Benoît, et j’ai été retenu. Pour moi, c’est extraordinaire, jamais je n’aurais pensé entreprendre cela un jour.

Comment travaille-t-on à une telle oeuvre ?
Je me suis d’abord empêché de lire les traductions précédentes. Il n’y a que pour Le Grinch que j’ai regardé le film. En revanche, j’ai lu énormément de choses sur l’auteur et sur l’analyse de ses poèmes. C’est une oeuvre qui doit être appréhendée dans sa globalité. Seuss était un perfectionniste, un obsessionnel. Mais ce qui ressort à sa lecture, c’est la fantaisie et le naturel. Seuss avait une telle ambition ! Et elle était au service d’une ambition supérieure : redonner aux enfants la joie du mot
Une fois la globalité de son propos compris, il faut se pencher sur les enjeux de chaque texte. Avec Horton, c’est l’idée d’anéantissement qu’il aborde, et ce, après Hiroshima. Le Chat Chapeauté est un pari sur les mots et le nombre d’entre eux connus par les enfants. Le mot d’ordre en est la désobéissance.
On est dans une pédagogie ludique et Seuss offre le contrôle de la langue à de jeunes êtres. C’est une baguette magique.

On dit souvent que Seuss est intraduisible. Comment vous y êtes-vous pris ?
Il ne l’est pas ! Et puis, on a bien réussi à traduire Joyce, non ? À mon avis, il faut réunir plusieurs conditions : avoir beaucoup de temps à sa disposition et travailler plusieurs textes en parallèle. Seuss a fait la démonstration que la grâce et la légèreté pouvaient venir du labeur. Se plonger dans son oeuvre, c’est vivre avec lui pour toujours et dans mon cas, il s’agit d’un mariage d’amour. Et puis, on dit que traduire, c’est trahir. Avec lui, c’est plus vrai que jamais.

Concrètement, à quoi vous attachez-vous ?
En fait, c’est le versifié de Seuss qui est la chose intraduisible. Il joue sur l’abondance du vocabulaire monosyllabique, ce qu’on ne retrouve pas en français. Sa poésie, c’est du scat, c’est jazzy. Il entretient cet effet en jonglant avec les mots d’une syllabe. Et ça, c’est impossible à restituer.

Comment êtes-vous malgré tout parvenu à créer un texte en français qui garde une dimension poétique et la “patte” de Seuss ?
Il faut travailler la prosodie et l’audition. La question est chaque fois la même : qu’est-ce qu’on va pouvoir aller chercher pour remplacer un défi (l’originel) par plusieurs ? On joue sur les rimes, les assonances, le rythme. Et surtout, surtout, il ne faut jamais céder à la facilité. À chaque décision retenue, on doit être sûr d’y avoir gagné quelque chose. Pour moi, le premier respect dû à un tel obsessionnel, c’est de se créer soi-même des obsessions.

En quoi le temps est-il un facteur fondamental lors d’un tel travail ?
Il faut souvent revenir au texte. Je travaille d’abord à un premier jet, aux premiers arbitrages et je le porte très longtemps. J’envoie ensuite une version complète et volontairement inachevée à Benoît Virot et à son équipe. Un vrai travail d’édition commence alors. Pour chaque traduction, nous avons dix rendez-vous communs. Intellectuellement, c’est passionnant et nous avons la ferme intention de publier toute son oeuvre. Je ne vois pas comment on peut lire un seul livre de Seuss. Pour moi, la solution à un défi de traduction se trouve souvent dans les autres.

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Nous avons passé Stephen Carrière à la moulinette, lui demandant d’expliquer et justifier ses choix dans certains passages de : One fish, Two fish, Red fish, Blue fish. L’occasion pour le traducteur d’expliquer plus en détail sa manière de procéder.

VO : Some are thin. And some are fat. The fat one has a yellow hat.
VF : Certains sont en pleine forme, d’autres sont énormes, comme ce gros malabar, au chapeau si bizarre.
L’explication du traducteur : “Some are” est une anaphore. Seuss joue sur “fat/has/hat” et il avait commencé à la page précédente avec “sad/bad/glad.” Le défi était de recréer l’allitération. J’ai insisté sur le “s” et le sifflement avec “certains sont si (qu’on retrouve aussi à la page précédente.)
Pour le thin/fat, vient immédiatement à l’idée un mince/gros, évidemment. Mais le “en forme/énorme” offre un jeu de mots.

sans-titreVO : Bump! Bump! Bump! Did you ever ride a Wump? We have a Wump with just one hump. But we know a man called Mr. Gump. Mr. Gump has a seven hump Wump. So… If you like to go Bump! Bump! just jump on the hump of the Wump of Gump.
VF : Oh hisse ! Ça glisse. Es-tu déjà monté sur un drome-à-bosses? Nous on a un drome qui n’en a qu’une. Mais on connaît cet homme qui s’appelle Ross. Ross a un drome-à-bosses qui en a sept. Donc… Si tu veux jouer à saute-bosses saute vite sur le drome-à-Ross.
L’explication du traducteur : Quels sont les artifices quasiment pédagogiques que met l’auteur en place ? Il y a un jeu entre le texte et le dessin pour provoquer chez l’enfant l’envie de compter. Je rebondis là-dessus pour traduire, utilisant ainsi un autre impératif du roman. Seuss introduit un jeu interactif avec les parents, qu’on retrouve bien dans la version française. J’ai souvent procédé ainsi, en n’arbitrant parfois que sur le son.

un-poisson-deux-poissonsVO : This one, I think, is called a Yink. He likes to wink, he likes to drink. He likes to drink, and drink, and drink. The thing is like to drink is ink. The ink he likes to drink is pink. He likes to wink and drink pink ink. SO… If you have a lot of ink, then you should get a Yink, I think.
VF : Alors lui, c’est un Momoze. Ce qu’il aime, c’est les trucs roses. Il cligne des yeux quand il est joyeux. Il boit, boit, boit, boit. Toujours de l’encre. Qu’est-ce qu’il en boit ! Mais pas rouge, verte ou bleue : Si tu veux le faire cligner des yeux, tu dois donner à Momoze un grand bol d’encre rose.
L’explication du traducteur : J’ai été pris d’une déprime absolue à la lecture de ces deux pages. Je décide donc arbitrairement qu’en tant que traducteur, je dois me souvenir que Seuss est poète certes, mais aussi un illustrateur de génie. Il faut que je trouve quelque chose de plaisant en partant de l’image. Certains effets sont reproduits avec “bois”.
Ajoutons que les néologismes de Seuss me donnent la liberté d’en créer à mon tour.

Propos recueillis par Luce Michel

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