Le mot de la présidente : URSSAF

Paola Appelius fait le point sur la situation avec l’Urssaf.

Sécurité sociale  

D’un côté les cotisations (parfois presque un gros mot), de l’autre les prestations. Tel est le socle du principe de solidarité de la protection sociale en France : on cotise sur nos revenus d’activité pour mettre au pot commun et on bénéficie de prestations quand on ne peut pas ou plus travailler au cours des étapes de sa vie (maladie, maternité/paternité, vieillesse, invalidité/décès).

Le régime des artistes-auteurs est rattaché au régime général. Nous avons les mêmes droits que les salariés, hors chômage et accidents du travail, aux mêmes coûts : nous payons la part salariale, et la part patronale est prise en charge marginalement par nos diffuseurs et largement compensée par la solidarité nationale.

Jusqu’au 1er janvier 2020, notre régime était géré par l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) ou la Maison des artistes (MDA), en fonction de la nature de nos activités. Un seuil d’affiliation (900 fois le Smic horaire) différenciait les assujettis des affiliés. 264 000 cotisants, dont 16 040 affiliés et 186 157 assujettis pour l’Agessa, 29 222 affiliés et 33 143 assujettis pour la MDA en 2018 (Rapport d’activité année 2018 Agessa).  

Régime fiscal et cotisations

Les revenus artistiques relèvent fiscalement par principe de la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC). Toutefois, par exception prévue par l’article 93-1 quater du Code général des impôts, les droits d’auteur sont intégrés dans la catégorie des traitements et salaires (TS) lorsqu’ils sont intégralement déclarés par des tiers.

Les auteurs déclarant fiscalement en TS sont donc obligatoirement soumis au précompte, système de retenue à la source de nos cotisations et contributions sociales déduites de nos droits d’auteur bruts et versées pour nous par nos diffuseurs.
Les auteurs déclarant fiscalement en BNC déclarent un bénéfice (recettes – dépenses) et se chargent eux-mêmes de payer leurs cotisations. D’autres calculs viennent compléter le tableau (frais forfaitaires ou réels, assiette, taux, seuils, plafonds…), sur lesquels nous ne nous attarderons pas ici.

Les choses étaient plus ou moins claires dans la tête de chacun (phobie administrative fantasmée – ou pas – de l’artiste ?) et se passaient bon an mal an, rythmées par les déclarations Agessa en juin des revenus artistiques de l’année civile achevée (perçus entre le 1er janvier et le 31 décembre de l’année précédente) pour déterminer notre assiette sociale, base de calcul des cotisations appelées et d’ouverture de nos droits sociaux du 1er juillet de l’année en cours au 30 juin de l’année suivante.

Les auteurs en TS payaient donc en contemporain sur le principe de l’année civile (n) une partie de leurs cotisations via le précompte, et en décalé (de septembre n+1 à avril n+2 si mensualisés) leur cotisation vieillesse plafonnée. Les revenus perçus de l’étranger, non précomptés, pouvaient être déclarés en TS, mais l’ensemble des cotisations correspondantes étaient appelées en décalé avec la vieillesse plafonnée.

Les auteurs en BNC dispensés de précompte payaient l’ensemble de leurs cotisations en décalé. Certains poussaient même le vice jusqu’à se faire précompter, déclarer leurs revenus en BNC et se faire rembourser ensuite les trop perçus du précompte, l’assiette sociale étant différente pour les auteurs déclarant en TS ou en BNC.

Sur tout ça venait se greffer, en décalé après les déclarations Agessa, l’appel de la retraite complémentaire (qui a elle-même connu sa propre réforme et chamboulé les taux, heureusement pris en charge pour moitié par notre chère Sofia pour les auteurs du livre).  

Réforme et transition

L’Agessa n’ayant pas sérieusement géré le régime, omettant d’appeler l’assurance vieillesse plafonnée des assujettis (à l’insu de certains auteurs mal informés, d’autres, souvent déjà couverts par un autre régime ou ayants droit de leur conjoint, se frottant les mains à l’idée de payer moins de « charges » que les affiliés-vaches-à-lait, sans songer à la très maigre retraite qu’ils toucheraient en fin d’activité, pauvres cigales), il fut décidé que tout le monde cotiserait au 1er euro et que la gestion du recouvrement des cotisations et contributions sociales serait transférée à l’URSSAF, réputée plus fiable et mieux outillée, plus précisément à l’URSSAF Limousin qui s’occupait déjà des contentieux Agessa-MDA.
La transition se ferait en deux temps : dès le 1er janvier 2019 pour les diffuseurs qui lui verseraient les précomptes, puis au 1er janvier 2020 pour les auteurs avec la mise en place du système d’appel en contemporain (n).

Depuis le 1er janvier 2019, les auteurs en TS sont précomptés en « temps réel » de l’ensemble de leurs cotisations et contributions (sauf les revenus perçus de l’étranger). Ils ont fait une dernière déclaration Agessa et on leur a promis que tout serait plus simple et mieux géré à l’avenir avec la très sérieuse URSSAF. On leur a même offert une année blanche en 2019 en n’appelant pas la cotisation de l’assurance vieillesse plafonnées pour ne pas leur faire payer la même année (en 2019 donc) l’assurance vieillesse plafonnée précomptée au réel sur leur assiette sociale 2019 et l’assurance vieillesse plafonnée due en décalé au titre de l’année précédente (2018) et des deux derniers trimestres de 2017. Trop aimable. La plupart ne s’en sont même pas rendu compte, puisqu’ils continuaient de payer ladite cotisation, via le précompte au lieu d’appels, et de valider des trimestres de retraite, validés à la date du recouvrement, sans se demander à proportion de quels revenus.

Les auteurs en BNC, eux, et les auteurs déclarant en TS des revenus perçus de l’étranger ne s’en sont pas préoccupés, puisque l’ensemble de leurs cotisations dues sur l’assiette de l’année en cours ne seraient calculées qu’en 2020 après la déclaration de leurs revenus artistiques de l’année civile écoulée (on y est). Et qu’on leur ferait la fleur de ne pas les appeler pour leur éviter de payer la même année (en 2020), l’ensemble de leurs cotisations et contributions appelées au titre de 2019 et celles de 2020 payées sur le système de l’année civile via des acomptes provisionnels, néanmoins calculés sur leur assiette 2019 quand elle serait connue en 2020, modulables en fonction de leurs revenus 2020 estimés et réajustés sur leur assiette 2020 réelle quand elle serait connue en 2021. Comment ça, vous ne suivez plus ? Les auteurs déclarant en BNC ont tout de même bénéficié d’une fleur plus charnue que les auteurs en traitements et salaires avec l’octroi d’une année blanche sur l’ensemble de leurs cotisations versus la seule vieillesse plafonnée.

L’URSSAF a posé ses jalons. On allait voir ce qu’on allait voir. Un portail allait être créé et chacun serait dûment identifié par le régime, automatiquement pour les auteurs précomptés par le biais des déclarations de leurs diffuseurs, mais les auteurs en BNC devraient obligatoirement posséder un numéro de SIRET d’artiste-auteur (le précieux sésame) et donc faire une déclaration de début d’activité s’ils n’en avaient pas déjà un.

Le premier grain de sable

Fin 2019, les premiers codes d’activation des comptes artistes-auteurs en BNC sur le portail artistes-auteurs.urssaf.fr sont arrivés. Premières déconvenues. Des auteurs déclarés en TS avaient donc l’outrecuidance d’exercer en pluriactivité et possédaient un numéro de SIRET d’auto-entrepreneur ?  Manque d’anticipation par méconnaissance du terrain ? C’est fort probable. Le cerveau de l’URSSAF a fait des nœuds, incapable d’identifier un artiste-auteur en TS avec un numéro de SIRET lié à un autre compte de travailleur indépendant (TI), ou un artiste-auteur avec numéro de SIRET qui ne déclare pas en BNC.  

Vous connaissez la suite…

Il y a eu le rapport Racine, puis le Covid est arrivé, le confinement, les salons annulés, les sorties de livres repoussées, les théâtres fermés, les mesures d’urgence, télétravail et garde d’enfant de moins 16 ans, fonds de solidarité, pas adaptés à nos professions que personne n’a identifiées. Heureux les intermittents, qui ont vu leurs droits prolongés jusqu’en 2021, de quoi nous donner des idées. Les promesses d’exonération, puis de réduction de cotisations sociales pour les auteurs… qui nous seront remboursées en 2021 quand nos revenus 2020 seront connus… si les petits cochons ne nous mangent pas d’ici-là.

Les codes qui n’arrivaient pas, qui n’activaient rien du tout, les bugs à répétition du système, les certifications de précompte que nos diffuseurs n’envoyaient jamais, les PDF qui changeaient miraculeusement d’affichage, les déclarations en suspens qu’il a fallu reprendre, puis les déclarations papier parce qu’au diable l’informatique, et les opérateurs excédés, dépassés, en sous-effectifs, qui nous disent n’importe quoi et nous raccrochent au nez pendant que le responsable du transfert part en vacances d’été. Des congés payés… le rêve ! alors que les auteurs s’arrachent les cheveux et refont dix fois leur déclaration quand ils osent aller voir si les bugs ont été corrigés.

Les courriers restés lettre morte, les auteurs qui paniquent, qui désespèrent, qui trépignent et qui grondent, les organisations qui s’épuisent, et puis à nouveau le Covid, la deuxième vague qui menace, un reconfinement qui pointe son nez… et la précarité galopante qui poursuit son chemin.

Les déclarations ont été prolongées jusqu’au 1er septembre. Nous sommes le 14 octobre et certains auteurs n’ont toujours pas de compte, mais les premiers échéanciers sont tombés. L’URSSAF a un planning à respecter et avance à marche forcée. Personne n’y comprend rien : on nous demande de payer des cotisations précomptées au prétexte que nos éditeurs ne les auraient pas versées – en dépit des certifications de précompte que nous avons sué sang et eau pour nous procurer. Les auteurs en BNC qui n’ont pas modulé leurs acomptes provisionnels se voient réclamer des sommes gigantesques pour une année qui sera forcément mauvaise.

C’est le moment que choisit l’Agessa pour envoyer des propositions de surcotisation sur l’année blanche de la première année de transition. Des cotisations à payer deux fois ? Mais on a déjà cotisé en 2017 et 2018, nos trimestres sont validés. Qu’est-ce que c’est que ce bin’s ?

Oui, valeureux auteurs précomptés, vous avez cotisé en 2017 et 2018, anciens échéanciers Agessa à l’appui, mais pas sur les années 2017 et 2018. Les cotisations vieillesse plafonnées en décalé, vous avez oublié ? En 2017, l’Agessa vous a appelé les cotisations de l’assiette 2015/2016 ; en 2018, celles de 2016/2017 et en 2019 on vous a précompté celles de 2019. Et oui, rien pour 2017/2018, la fameuse année blanche. Mais non, les trimestres correspondants ne vous ont pas été volés (validation des trimestres à la date du recouvrement, souvenez-vous). Alors quoi ? Qu’est-ce qu’ils veulent nous faire payer ?

Il s’agit d’une proposition de cotisation volontaire sur ces revenus exemptés pour améliorer vos droits 2019, valider des trimestres si vous n’en avez pas suffisamment ou gonfler vos futures pensions. De combien ? Ah, ne nous en demandez pas trop, vous verrez bien (N.B. Le mieux est de vous renseigner sur le site lassuranceretraite.fr, où vous pourrez prendre un rendez-vous dans votre espace personnel). Vous avez jusqu’au 1er janvier pour vous décider, alors armez-vous de vos calculettes. Le timing est parfait et la communication merveilleuse, non ?

Et les réductions de cotisations 2020 promises par le président de la République ? On ne peut pas les déduire de ce qu’on doit payer ? Eh bien non, il faut attendre de savoir ce que vous aurez réellement gagné en 2020. Pas d’effet d’aubaine. Et s’il faut attendre jusqu’au 14 octobre 2021 que vous ayez pu faire vos déclarations 2020, nous attendrons. Quoi ? Les petits cochons vous auront mangés ?

Il n’y a plus maintenant qu’à attendre l’IRCEC pour rigoler un peu…

P.S. Toutes ces questions ont été discutées vendredi 9 octobre dans le live « urgence URSSAF » proposé par la Ligue des auteurs professionnels, visible en replay ici, auquel j’étais invitée, au côté d’un représentant de l’ACOSS, directeur du projet Transfert Recouvrement Agessa-MDA, qui nous a servi sa soupe technique sans répondre aux inquiétudes des auteurs. Nous avons pu lui tirer, en toute fin d’émission, quelques nouvelles rassurantes tout de même. En dépit des erreurs, des dysfonctionnements et des communications contradictoires, voilà ce qu’il faut retenir :

  1. Ne pas tenir compte des échéanciers qui s’affichent sur votre compte, provisoires ou définitifs. Les appels de cotisations réellement dues seront envoyés ultérieurement.
  2. Ne rien payer pour l’instant. L’échéance du 15 octobre n’est qu’une date réglementaire : la véritable échéance pour les paiements nous sera communiquée ultérieurement, avec les appels à cotisations.   
  3. Pas de cotisations à payer pour les auteurs précomptés, et si on vous dit le contraire, laissez couler.   
  4. 2019 est une année blanche pour les auteurs en BNC (et pour les revenus non précomptés perçus de l’étranger et déclarés en TS) : ce que vous payez maintenant est une avance sur vos cotisations 2020 réellement dues.   
  5. Possibilité prochaine de moduler en ligne (à partir de novembre si tout va bien) les acomptes provisionnels au titre des revenus 2020 pour les auteurs non précomptés de façon à ajuster au mieux les cotisations calculées sur les revenus 2019 (vous pouvez estimer votre assiette 2020  – certainement moins bonne que 2019 – et soustraire la réduction actée par le décret).   
  6. Aucune pénalité ne sera appliquée car les retards proviennent des dysfonctionnements de l’URSSAF.   
  7. Ceux qui n’ont toujours pas pu activer leur compte sur le portail doivent faire une déclaration papier, car les derniers bugs ne sont pas près d’être réglés. Ça ne va pas mieux comme ça ? C’est l’URSSAF qui doit revoir sa copie. Traducteurs, haut les cœurs, ne vous laissez pas impressionner. Nous ne laisserons pas le grand méchant URSSAF vous manger 😉

Paola Appelius Présidente de l’ATLF

Bonus

Un site utile et très complet pour tout comprendre sur vos droits et vos devoirs d’artiste-auteur : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F23749.